Différentes dénominations
Cet axe de déplacement stratégique, communément appelé le Grand Boulevard, s'étend sur 14 km de long, 50 mètres de largeur. Une vaste plantation de plus de 6 000 arbres apporte oxygène et verdure. L'artère a vu passer des hippomobiles, des vélocipèdes à l'époque où sa traversée se passait à travers champs, le tramway appelé Mongy (du nom de son constructeur et ingénieur) des voitures, de plus en plus nombreuses et des vélos sur sa piste cyclable.
En 1909, date de son lancement, sur les cartes postales de l'époque, on note diverses dénominations : le Nouveau Boulevard puis le Boulevard des Trois Villes. À Lille, la portion entre le théâtre et l'entrée vers La Madeleine s'appelle le boulevard Carnot, honorant ainsi la mémoire du président de la République assassiné (1837-1837) par l'anarchiste italien Sante Geronimo Caserio au cours d'un déplacement officiel à Lyon.
Il faudra attendre 1935 pour que le conseil général prenne la compétence sur l'ensemble du territoire et attribue une nouvelle dénomination. L'axe La Madeleine-Croisé-Laroche devient l'avenue de la République, la branche de Roubaix, avenue de Flandre, la branche de Tourcoing, avenue de la Marne, en souvenir des combats de la guerre 14-18.
Enfin, l'axe central du Croisé-Laroche prend le nom de place Lisfranc, après la Seconde Guerre mondiale, en mémoire d'un résistant fusillé par les Allemands à Bondues en 1943. Symboliquement, a été planté à cet endroit « L'Arbre de la Libération ».
L'inauguration le samedi 4 décembre 1909
Un menu digne d’Escoffier pour l’inauguration du Grand Boulevard
Les petites histoires du patrimoine marcquois. Cet été nous vous racontons des histoires peu connues ou insolites autour du patrimoine de Marcq-en-Barœul. Premier volet de notre série sur le banquet d’inauguration du Grand Boulevard, en 1909.
Le samedi 4 décembre 1909, eut lieu l’inauguration du Grand Boulevard. Soigneusement conservé dans les archives de la ville, le menu du banquet, révèle l’art culinaire du début du XXe siècle, fortement influencé par le grand maître, Auguste Escoffier « Rois des cuisiniers et cuisinier des rois ». Cette journée pas comme les autres a dû nourrir des conversations surprenantes.
« Potage nivernais, truite saumonée sauce Ivoire, filet de bœuf à la française, poulardes du Mans truffées, haricots verts panachés, faisans de Bohème rôtis, langoustes en Bellevue, croquante aux choux… » Voilà les assiettes, le tout arrosé de moulin-à-vent, de champagne frappé… Nul doute que les invités au banquet purent oublier rapidement l’absence délibérée du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics, d’alors, Joseph Ruau. Membre du parti de la gauche radicale, celui-ci refusa de partager sa table avec certains maires de droite dont sans doute Eugène Motte, industriel et maire de Roubaix, farouche opposant de Jules Guesde et Charles Delesalle, qui sera maire de Lille, membre éminent de la gauche républicaine. Le préfet suivit le ministre et quitta l’assemblée. Au lieu de 500 invités, ils ne furent donc plus que 250. Ceci ne dut pas troubler certaines personnalités politiques qui s’offusquaient sans doute encore du vote de la loi de 1905 promulguant la séparation de l’Église et de l’État, loi défendue par le ministre absent.
300 véhicules par jour
M. Barrois, dont le menu conservé par la ville porte le nom, faisait partie des invités d’honneur. Issu d’une famille de Lille et des environs et propriétaire de plusieurs filatures, cet entrepreneur évoqua-t-il, entre deux plats servis dans le dépôt du Mongy, ce magnifique tronçon de 14 km de long venant de Lille et se séparant à Marcq-en-Barœul pour aller vers Roubaix et Tourcoing, offrant des opportunités de déplacements fluides ? Peut-être était-il heureux de constater que 300 véhicules par jour empruntaient désormais facilement cet axe majeur. Aurait-il pu imaginer que 116 ans plus tard, ce chiffre s’élèverait à 57 000 voitures par jour sur le tronçon commun, de Lille au Croisé-Laroche ?
Le maire de Tourcoing, Gustave Dron, de la gauche radicale, rappelait-il à son voisin de table la genèse du Grand Boulevard ? Une idée d’un de ses confrères médecin, Théophile Bécour, conseiller général de Fives qui, confronté à la pauvreté de la population lilloise vivant dans des conditions insalubres, avait eu une idée révolutionnaire lors d’une séance du conseil général, en 1896. Sur un document, conservé aux Archives Départementales, on lit : « Il serait facile et peu coûteux de créer un boulevard ayant un chemin de fer à droite (future voie du tramway), une route carrossable, une voie de piétons et un terre-plein ombragé reliant les trois villes de Lille-Roubaix-Tourcoing et leurs 400 000 habitants. Ce serait une œuvre d’hygiène sociale qui offrirait aux ouvriers, aux employés et aux petits rentiers, un cottage sain, à l’instar des Peabody’s Cottages à Londres. Le comité de patronage pourrait édifier des jardins, des maisons ouvrières et louer ces maisons au taux normal avec faculté d’acquisition pour les locataires… » Un vœu pieux.
Ces hommes du début du XXe siècle avaient un regard visionnaire même s’ils ne pouvaient mesurer l’impact social, économique et environnemental de ce grand Boulevard dont le Croisé-Laroche reste, géographiquement, l’axe central.
Un monde quasi bucolique sur le Grand Boulevard du début du XXe siècle
Sources : Le Grand Boulevard, en long, en large et en travers. ADU. Direction des Archives et du Patrimoine, ville de Marcq-en-Barœul. Article d'Edith Masse paru dans la Voix du Nord le mardi 15 juillet 2025 dans la série d’été.
Alfred Mongy était absent le jour de l'inauguration
Piste cyclable
Voir un complément sur le vélodrome
Le côté visionnaire des constructeurs se trouve dans les divers aménagements, comme une double voie réservée pour les tramways et une piste cavalière.
Sur cette carte postale (n° 162) on découvre 2 cyclistes à côté de la piste cavalière. Cette dernière sera progressivement de moins en moins utilisée pour laisser davantage de place aux vélos.
À l’époque les cyclistes se plaignent qu’en hiver la boue de la piste en cendrée tache leurs vêtements.
En 2025, l'ancienne piste macadamisée a bénéficié d’un nouvel enrobement, ainsi que d'une amélioration des feux tricolores.
Au niveau des ouvrages d'art, pour dégager une hauteur utile de 4,30 mètres, il avait fallu relever de 2 mètres le tablier. Le pont fut détruit en 1918 et reconstruit à l’identique. Aujourd’hui fleurissent dans ce secteur de nombreux immeubles de bureaux, banques et assurances, qui trouvent ici un emplacement de choix. Une passerelle piéton longe ce pont juste au niveau du dépôt des Rouges-Barres.
Grand Boulevard pionnier
Extrait d'un article de Christian Canivez paru dans la Voix du Nord le dimanche 13 juillet 2025
Les projets se multiplient en cette toute fin de siècle. Des pistes cyclables dédiées sont aménagées entre Lille et Baisieux, entre Lille et Douai, entre Cambrai et Épinoy, entre Cambrai et Bois-de-Bourlon, comme nous l’apprennent les bulletins du Touring club de France et de la très active Association pour l’aménagement des pistes cyclables. Mais d’autres projets voient le jour un peu partout dans la région.
L’un des plus ambitieux est celui des ingénieurs Stoclet et Guillain, les aménageurs du Grand Boulevard devant relier Lille à Roubaix et Tourcoing : la création de 15 km de trottoirs cyclables sans interruption entre les trois villes. La motivation est claire : à côté des allées cavalières, des voies réservées aux voitures et des lignes de tramway de l’ingénieur Mongy, on veut permettre aux foules d’ouvriers travaillant dans les usines de la métropole de se rendre à leur travail efficacement, sans retard et en limitant les risques d’accident. On est loin ici du cyclotourisme !
Les pistes cyclables du Grand Boulevard voient le jour en 1909.
L'avenir de l'ancien dépôt de l'ELRT
Le Grand Boulevard de Madrid
Le Grand Boulevard raconté par un historien espagnol
Un article paru dans la Voix du Nord le mardi 13 février 2024 par Angélique Da Silva Dubuis.
Habiter. La construction du Grand Boulevard, en 1900, s’est-elle inspirée de Madrid et du projet d’Arturo Soria, un urbaniste espagnol ? C’est la conviction de Javier Rodriguez Cabello, historien de l’art en Espagne.
Il vient de consacrer un article au boulevard Lille-Roubaix-Tourcoing dans une revue spécialisée, Via Libre.
« Deuxième ville linéaire après Madrid »
« Images du Grand Boulevard entre Lille, Roubaix et Tourcoing, la version française de la Cité linéaire de Madrid. » C’est le titre d’une publication sur X (ex-Twitter) émanant de la Fondation Arturo Soria, du nom d’un célèbre architecte et urbaniste espagnol (1844-1920). Une publication assortie de photos assez inédites du Grand Boulevard, issues de la collection privée d’Arturo Soria, illustrant un article d’une dizaine de pages écrit par Javier Rodriguez Cabello.
Historien de l’art, membre de la fondation madrilène, il s’est passionné pour le destin d’Arturo Soria à qui l’histoire de l’urbanisme doit le concept de « cité linéaire » (Ciudad lineal en espagnol). Un concept qui a inspiré de grandes villes à travers le monde, dont Madrid et Lille ont été pionnières selon l’auteur.
« En Espagne, personne ne connaît vraiment l’histoire du Grand Boulevard. Je trouvais que la deuxième ville linéaire après Madrid méritait d’être connue ici aussi ! »
On apprend qu’en mars 1910, quelques mois après son inauguration, le Grand Boulevard a fait les gros titres du quotidien El Imparcial en évoquant « ce boulevard de 14 kilomètres de long et 50 mètres de large qui devrait faciliter les communications entre Lille, Roubaix et Tourcoing à travers une magnifique cité linéaire qui donne à voir la richesse des grands industriels du Nord de la France. »
Naissance des Cités-jardins
Javier Rodriguez Cabello explique avoir été frappé par de nombreuses similitudes entre le boulevard inauguré quinze ans plus tôt dans la capitale espagnole où Arturo Soria développe son modèle face à l’industrialisation qui entasse les familles ouvrières dans des baraquements. « Dans la cité linéaire, chaque famille dispose d’une maison, et chaque maison d’un jardin et d’un potager », défend alors celui qui entendait « ruraliser l’urbain et urbaniser le rural ».
Une approche qui fait écho au combat du médecin lillois Théophile Bécour pour désengorger la ville et offrir des conditions de vie plus dignes à la population dans des cités-jardins en facilitant le transport vers les usines de Lille, Roubaix et Tourcoing.
Dans son ouvrage L’Hygiène populaire (1896), le médecin les invite à l’exode : « Désertez la ruelle, la cité, l’impasse, la cour sans air ni lumière, où la fleur s’étiole sur la fenêtre, où meurt votre enfant par défaut de soleil. »
« Les habitants l’appellent toujours Mongy »
Autre curiosité pour Javier Rodriguez Cabello : les parallèles personnels entre Arturo Soria et Alfred Mongy (1840-1914) : « Tous deux ont commencé comme fonctionnaires et sont ensuite devenus des entrepreneurs dans le tramway. »
De la vitesse de pointe du tramway, 40 km/h, dont les moteurs Westinghouse étaient alimentés par une centrale électrique située à Wasquehal aux 6 000 arbres plantés le long des voies, l’article raconte en détail l’aventure du Grand Boulevard et du tramway relevant au passage que nous l’appelons toujours « Mongy » plus d’un siècle après son lancement.
Au fil de ses recherches sur la métropole, Javier Cabello Rodriguez a fait d’autres rencontres, « des coïncidences plus singulières » dit-il. Pionnière de l’aviation, Hélène Dutrieu aurait survolé à peu de temps d’intervalle les boulevards de Madrid et Lille pour des spectacles aériens.
Dans la cité linéaire, chaque famille dispose d’une maison, et chaque maison d’un jardin et d’un potager.